Légitimité… en pointillés



La légitimité ne se décrète pas, et ce n’est pas à force de la marteler qu’on l’acquiert. Les différents membres du Gouvernement de Hamadi Jebali n’ont de cesse que de matraquer qu’ils sont le " premier gouvernement légitime " de l’histoire de la Tunisie. Les responsables de la Troïka et leurs partisans clament aussi, à qui veut l’entendre, qu’ils sont le " Gouvernement de la Révolution ". Deux affirmations… Deux contre-vérités, historiques et politiques.

Ce Gouvernement n’a pas la primauté de la légitimité
Le Gouvernement d’Habib Bourguiba de 1956 était légitime, on ne peut le nier. Une légitimité tirée de la résistance au protectorat et de l’obtention de l’indépendance. Moncef Marzouki, qui aime à se revendiquer comme le premier Président élu, ne peut réécrire l’histoire et oublier que l’Assemblée constituante de 1956, qui a proclamé la République et a élu Bourguiba comme Président, était aussi une assemblée élue, où les organisations nationales qui ont participé à la résistance, notamment le Destour et l’UGTT, étaient représentées.

Elections Constituante - Mars 1956

La majorité actuelle a sûrement des comptes à régler avec Habib Bourguiba, et c’est son droit, mais cela ne justifie en rien la réécriture de l’Histoire a posteriori. Cela serait une offense aux grands hommes qui ont siégé dans cette Assemblée, tels que Hédi Nouira, Behi Ladgham, Ali Belhouane et bien d’autres. 

Ce Gouvernement n’a pas la « légitimité révolutionnaire »
Pour cela il aurait fallu que les membres de cette majorité aient fait, ou aient guidé, cette Révolution, ce qui n’est pas le cas. Les leaders de ces partis étaient (et on ne peut les en blâmer) exilés ou mis hors circuit par des années de prison. Mais une fois en place, ils auraient pu en profiter pour porter les revendications de la Révolution de liberté et de dignité. Il n’en a rien été, ils ont préféré l’appel au repli identitaire et ont fait de la foi un fonds de commerce.

Le jour du scrutin, a été celui où la logique révolutionnaire a cédé la place à la démocratie. Ce Gouvernement est issu des urnes et c’est de là qu’il tire sa légitimité voir article. Se présenter comme un "Gouvernement de la Révolution" est un affichage opportuniste, qui n’a de vrai que le timing. Ils ne sont pas la Révolution, celle-ci leur a opportunément permis de rentrer au pays et de se réorganiser. Ce Gouvernement n'est qu'un gouvernement de l’après-Révolution.

La légitimité se construit par le dialogue
La légitimité obtenue dans urnes n’est pas acquise ad vitam aeternam, c’est un capital qui s’effrite, s’il n’est pas consolidé, et qui se perd, s’il n’est pas préservé. L’Assemblée constituante a été élue sans mandat clair, ni durée déterminée, elle a fini par concentrer l’ensemble des pouvoirs. Décidée dans la précipitation, cette Constituante a fait une unanimité relative, par conviction ou par dépit, des responsables politiques tunisiens. Et de l’avis général, son élection s’est bien passée, même si la fâcheuse question des financements a été savamment éludée.
La majorité issue du scrutin aurait donc dû prendre sa victoire avec humilité au regard de ce contexte politique délicat et essayer, autant que possible, de construire le consensus. Mais la majorité a choisi une autre voie.

La légitimité se perd par l’incompétence
Près de six mois après l’élection, l’Assemblée constituante n’a pas voté une seule loi (hormis les textes permettant son fonctionnement et celui de l’exécutif, passés en force) et ils n’ont rédigé aucune ligne de la future Constitution.

Plusieurs semaines de tractation autour d’Ennahdha ont été nécessaires pour constituer un Gouvernement qui se voulait d’intérêt national, pour aboutir à une majorité hétéroclite, une banale alliance mathématique entre trois partis, avec près de 50 ministres. Un mauvais signal pour un pays qui traverse une crise économique grave et où un Gouvernement resserré aurait été plus efficace et plus réactif. Mais les Tunisiens n’étaient pas au bout de leurs peines, ce Gouvernement n’a présenté son programme d’action que 5 mois plus tard, preuve, s’il en fallait, que les semaines de tractations ont porté davantage sur le nombre de sièges à se répartir, que sur la recherche d’un programme commun.

Les fameux « 100 jours de grâce » que connaissent les nouveaux élus dans les grandes démocraties et qu’ils mettent à profit pour initier leurs grandes réformes, ce Gouvernement les a gaspillés à éteindre des incendies, suite aux déclarations des uns et des autres, notamment des ministres à la déclaration facile, et dont la mue de militant à homme d’État ne prend pas.

Les plus hauts responsables ont donné la priorité aux questions de politique étrangère, avec incohérence et maladresse, en négligeant les urgences nationales. Plusieurs dossiers étaient sûrement plus prioritaires que l’organisation d’un sommet sur la question syrienne ou la relance de l’intégration maghrébine. La majorité n’a pas été à la hauteur des attentes que la Révolution a suscitées, elle n’a pas su prioriser son action.

De gauche à droite: Mustapha Ben Jaafer, Moncef Marzouki et Hamadi Jebali

L’image que renvoi l’exécutif est primordiale dans une période où l’État peine a regagner la confiance de ses citoyens. L’alliance au pouvoir a clairement échoué à restaurer cette confiance. Les Tunisiens ne savent plus qui gouverne le pays, entre un Moncef Marzouki, dont les gesticulations dépassent les prérogatives, et un Hamadi Jebali, dont le parti est en crise d’identité entre son aile dur et ses démocrates. Sans compter un Rached Ghannouchi qui, sans mandat aucun, engage la Tunisie dans des déclarations à l’emporte-pièce à l’occasion de voyages à l’étranger. Ce trio commence à ressembler plus à une armée mexicaine qu’à un exécutif.

La légitimité n’est pas compatible avec la défiance
Après sa victoire dans les élections à la Constituante, le parti Ennahdha, candidat conciliant et rassurant, a laissé place à un parti Ennahdha insolent et revanchard. Les nominations ont commencé à pleuvoir comme sous l’ère Ben Ali, avec des conseillers de cabinets, au statut de ministre ou de secrétaire d’État, des gouverneurs trop partisans, des recrutements dans les cercles familiaux des cadres de l’organisation, etc.. Autant de signaux indiquant la continuité du clientélisme du RCD, sous une nouvelle étiquette.

La légitimité est un contrat
Quand des élus d’Ennahdha défendent la Charia comme une source du droit, alors qu’elle n’a jamais été mentionnée dans leur programme, le contrat tacite, qu’ils avaient avec les électeurs, est trahi. Peut-être était-ce un ballon d’essai, pour tester jusqu’où pourront-ils modeler l’État à leur image.

Quand Ennahdha ne trouve comme réponse aux manifestations, légitimes ou non, pas d’autres réponses que d’appeler ses partisans à une contre manifestation, en prenant le risque de confrontations des Tunisiens entre-deux, c’est mettre en péril le vivre-ensemble.

Quand au lieu du dialogue, le Gouvernement envoie policiers et barbouzes pour réprimer des manifestations pacifiques, et qu’un ministre use du mensonge pour le justifier, c’est que le changement d’ère n’est qu’un changement de couleur politique. Le contrat entre Ennahdha, ses alliés et leurs électeurs n’a plus lieu d’être, tant les termes ont été changés unilatéralement.

Légitimité : mode d’emploi
Pour regagner sa légitimité, la majorité n’a d’autres choix que de rebâtir la confiance avec les citoyens : elle doit reconstruire un consensus plus large, avec les autres acteurs politiques, pour un projet politique auquel adhéreront l’ensemble des forces politiques. La Troïka devra prendre un peu plus à son compte les revendications de la Révolution, sans butter sur des questions de posture dogmatiques. Ennahdha, de son côté, doit lever l’ambiguïté sur ses positions et trancher sur son projet politique ; le congrès de juin en sera l’occasion. Enfin, et surtout, le Gouvernement doit s’attaquer aux chantiers de l’emploi et de la relance économique.
Faute de quoi, ce Gouvernement perdra définitivement sa légitimité, pour ne conserver que sa triste légalité.

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