Le syndicalisme tunisien à un tournant - Partie I Contexte


L’Union Générale Tunisienne des Travailleurs – UGTT organise son congrès à Tabarka du 25 au 28 décembre. Un congrès crucial dont la date et l’ordre du jour ont été bousculés par les nombreux évènements qu’a connu la Tunisie en 2011. L’UGTT attaque son 22e congrès, forte de sa participation à la Révolution et à la transition démocratique, mais interrogée sur son devenir, dans un paysage politique et social en mutation.

L’UGTT a traversé toutes les épreuves importantes de l’histoire contemporaine tunisienne, du combat pour l’indépendance jusqu’à la révolution. Mais c’est à ce congrès que se joue, en partie, l’avenir de l’UGTT, son unité et sa place d’avant-garde dans la société civile tant le contexte est particulier.

Campagnes à charge
Dès le lendemain du départ de Ben Ali, le 14 janvier 2011, l’UGTT a commencé à subir une campagne d’attaques orchestrées, parfois diffamatoires, contre ses dirigeants. La contre-révolution l’a prise pour cible, parce que c’était l’organisation la plus structurée du pays et le seul contre-pouvoir réellement installé (Lire: Ne blâmez pas l'UGTT 23/01/11). Certains ont même tenté de réécrire les événements qui ont mené à la chute, en omettant le rôle primordial joué par l’organisation syndicale. Alors que personne ne peut nier l’importance de ce rôle, et particulièrement certaines unions locales, régionales et professionnelles, qui se sont mobilisées contre l’avis de la direction nationale. Lors de ces attaques, la communication de l’UGTT était aux abonnés absents, une des grandes faiblesses de l’organisation qui fonctionne encore à coup de communiqué de presse papier tamponné, signé et envoyé par fax aux rédactions.

Les attaques contre l’UGTT n’ont pas cessé une fois les élections à la Constituante passées. La nouvelle campagne est menée, cette fois par le nouvel « Establishment politique ». Certains cadres du CPR veulent mater la centrale syndicale. Avec une grande maladresse politique, Mohamed Abbou, porte-parole du parti, et l’extravagant Taher Hmila n’ont eu de cesse que de faire des sorties médiatiques attaquant la Centrale. De son côté, l’UGTT a fait comprendre que le choix de Moncef Marzouki comme Président ne convenait pas. Bref, une inimitié qui n’en est qu’à ses débuts, à suivre dans les mois à venir.

Pluralisme syndical
Parallèlement à cette campagne de diffamation que l’organisation a subi depuis la chute du régime, le Gouvernement intérimaire de Mohammed Ghannouchi a autorisé la création de deux nouvelles centrales syndicales : la Confédération Générale Tunisienne du Travail (CGTT) et l’Union des Travailleurs de Tunisie (UTT). Ces deux nouvelles centrales ont été créées par des anciens de l’UGTT : Habib Guiza pour la CGTT[1] et l’UTT par le, très controversé, Ismaël Sahbeni.
L’autorisation de ces nouvelles centrales syndicales a été décidée de manière unilatérale, par un Gouvernement qui peinait à être légitime. Pourtant cette décision a imposé, l’air de rien, un nouveau modèle social qui aurait mérité un débat de société, ou plus modestement un débat entre les différentes composantes politiques et les partenaires sociaux.

La création de nouvelles centrales syndicales suscite d’autant plus d’interrogation qu’elles n’ont rien apporté sur le plan idéologique, l’UGTT était ouverte à tous les salariés indépendamment de leur statut, genre ou opinion politique.
On peut voir dans ces décisions, la convergence de plusieurs objectifs. D’abord, une punition pour l’UGTT, pour le rôle qu’elle a joué dans la révolution et les grèves générales du mois de janvier. Ce fut aussi l’occasion pour le patronat de diviser le front syndical. D’ailleurs plusieurs entreprises ne se sont pas gênées pour apporter de l’aide à ces nouvelles structures, afin d’implanter, en leur sein, des « syndicats maison » plus conciliants. Enfin, ces centrales représentent une aubaine pour la reconversion des anciennes "sections professionnelles" du RCD après la dissolution de leur maison-mère.

Opportunité ratée
L’UGTT représentait un refuge pour les opposants, ceux de Ben Ali comme de Bourguiba. C’était la « maison commune », où on trouvait représentée une large palette politique : des nationalistes arabes (Nassériens et Baathistes) jusqu’aux communistes du POCT, en passant par les sociaux-démocrates et autres modérés. Bref, c’était une organisation pluraliste.

Mais elle a raté son opportunité…  Alors que la Tunisie a connu une effervescence politique après la chute de Ben Ali, et que plus de cent partis ont obtenu leur visa, l’UGTT, elle, a traîné longtemps avant de dissiper le doute sur sa participation, en tant que telle, aux élections pour la Constituante. Alors qu’il ne faisait aucun doute que l’organisation syndicale n’aurait pas sauté le pas, une grande partie de ses militants et certains cadres de l’organisation (issus de différentes familles politiques) ont entretenu le doute. Un débat finalement tranché, fort heureusement, en faveur d’une certaine neutralité. Même si plus tard (trop tard), quelques sociaux-démocrates de l’organisation (avec Abdejalil Bedoui à leur tête), ont lancé le Parti de Travail Tunisien (PTT) participant encore plus à créer un amalgame qui n’a pas fait que du bien à l’image de la Centrale auprès de l’opinion publique.

Dans un paysage politique aussi illisible, l’UGTT a raté l’opportunité de rester au-dessus de la mêlée.


A venir: Le syndicalisme tunisien à un tournant - Partie 2 Les enjeux du Congrès 


[1] Première demande d’autorisation en 2006


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